Dans une autre vie professionnelle j’ai été formée à la prévention des risques psycho sociaux. Les formateurs étaient de qualité, sincèrement mobilisés sur ce sujet. Ils avaient à cœur de remplir une mission qui leur avait été incombée par un donneur d’ordre, lui aussi soucieux d’agir dans ce domaine « en vogue » et surtout prévu par la loi. En effet, la prévention des risques psycho sociaux s’inscrit dans l’obligation générale de protection de la santé physique et mentale des travailleurs et le code du travail dispose que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés.
Je me souviens avoir été un peu dubitative quant aux actions à mener au vu de l’ampleur de la tâche. Je me souviens avoir été un gênée par l’opposition qui semblait nécessaire entre les équipes dirigeantes et les autres, comme si le fait d’être dirigeant était à lui seul un facteur de risque psycho social pour ses collaborateurs. Je carricature un peu c’est vrai, mais c’est le reflet de ce que j’ai ressenti à l’époque.
Je n’aime pas les clans, je ne supporte pas les clivages, j’ai du mal avec l’idée d’opposer les « méchants et les gentils », les « forts et les faibles » et pourtant force est de constater que notre société est construite comme cela et que toutes les réunions, formations et meilleures intentions du monde ne sont pas très efficaces concrètement pour inverser les choses.
Autour de moi, des gens travaillent dans le public et dans le privé. J’accompagne des personnes qui travaillent dans le public et dans le privé. Partout, la prévention des risques psycho sociaux a été saisie fièrement pour qu’il soit bien établi que ce sujet brûlant est pris à bras le corps. Et ?
Partout j’entends qu’à un moment donné de sa vie professionnelle on s’est senti maltraité. A tous les niveaux, par sa hiérarchie ou par ses collaborateurs, par une demande institutionnelle délirante et en parfait décalage avec le quotidien du terrain, Par le mépris, le manque d’information, la nécessité permanente de s’adapter, par le fait de crouler sous la tâche ou de n‘avoir plus rien à faire. Surtout, par le manque de considération.
Ce n’est pas larmoyant, ce n’est pas pour dramatiser. C’est un fait. Quelque fois on arrive à faire avec, quelque fois non. Et qu’est-ce qui se passe alors ?
Celui ou celle qui n’en peut plus s’arrête ou fait semblant d’aller bien. Celui ou celle qui supporte et tolère poursuit son petit bonhomme de chemin en « faisant avec » tout en sachant que, par moments, c’est insupportable.
Et puis, ça continue.
Il existe des accompagnements à la prise de poste, aux techniques du management, à la manière de fédérer des équipes, des tas de dispositifs de formation mis sincèrement à la disposition des professionnels. Je suis certaine que chacun s’en saisit, soucieux de faire de son mieux. Et alors ?
Je crois que tant qu’on parlera de démarche qualité, d’excellence opérationnelle, d’indicateurs ou de leviers, tant qu’on appellera des personnes des N+1 N+2… ou mieux (pire) encore des N-1 N-2… notre société sera une société de clivage et de rang qui aura perdu le sens des rapports humains et où il sera nécessaire de faire de la prévention des risques psycho sociaux.
Ce n’est pas la fonction qui crée la légitimité, même si elle y participe. Ce n’est pas le grade. Ce n’est pas le statut. Il ne s’agit évidemment pas pour moi de pointer ici du doigt des dysfonctionnements qui seraient forcément hiérarchiques, descendants, mais bien des interactions, de chacun avec chacun. D’un manager ou d'un chef de service avec son équipe mais également d’une équipe avec son manager, des membres d'une équipe les uns avec les autres... au bénéfice d'une entreprise, d'une institution, des usagers... eux aussi en interaction.
Les gens ont des prénoms et des vies au-delà de leur grade et de leur fonction. Les gens sont des personnes. Et sans Personne, pas d’esprit d’équipe, pas de performance, pas de réussite. En tous cas, pas de réussite collective. De vraie réussite collective. Pas celle brandie à l’occasion des inaugurations et autres cérémonies ou congratulations qui ne s’adressent qu’à certains et ignorent les autres.
Accompagner les personnes qui ne se sentent pas à leur place, qui vivent mal leur quotidien professionnel, c’est une partie de mon travail. Je le fais avec bienveillance et dévouement. Accompagner les personnes qui vivent bien leur quotidien professionnel et qui réfléchissent à la manière de fédérer leurs équipes, d’en prendre soin au service de l’intérêt collectif, dans le respect des personnes qui la composent, dans le respect des usagers, des clients, ça l’est aussi. Accompagner les équipes qui veulent réfléchir à leur quotidien professionnel et à la manière de l’améliorer, de s’améliorer, ensemble, ça l’est encore. Je le fais avec enthousiasme.
Dans cet article je veux rendre hommage à tous les professionnels qui le font déjà, avec toute leur énergie, leur bienveillance et leur humanité. Ils existent, ils agissent, ils font vivre notre monde.
A ceux qui n’en sont pas encore là et qui se rendent comptent qu’autre chose est possible, qu’ils sont mal à l’aise avec le fonctionnement actuel, je veux dire qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il n’y a pas qu’un seul modèle.
Nous sommes tous responsables de la société dans laquelle nous vivons, nos avons tous une marge de manœuvre, nous avons tous une action à mener.
A nous de déterminer par laquelle nous voulons commencer.
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